Heureuses les Philippines dont le risque d’expulsion a réveillé les Israéliens qui ont une conscience et qui comprennent que les règles et les lois ultra-conservatrices ne sont pas le seul guide vers une vie digne. Heureux les petits Philippins nés en Israël, dont les amis israéliens sont immunisés contre le lavage de cerveau de « l’état seulement pour les Juifs », qui manifestent et s’expriment contre l’expulsion.
Israël a créé dix méthodes d’expulsion. Parmi celles-ci, une est réservée aux travailleurs migrants et aux réfugiés africains qui fuient la guerre et la famine, les autres sont destinées aux Palestiniens de souche - enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants de personnes qui sont nées ici. La majeure partie de la population israélienne considère que ces méthodes sont justifiées et soutient – même si elle ne fait que se taire – leur mise en oeuvre de façon ininterrompue. Nous, la minorité, nous hurlons contre ça à l’intérieur du bocal.
Il y a l’expulsion de gens en les chassant du pays. Il y a le déplacement forcé hors des maisons et des villages vers les enclaves de la Zone A. Il y a l’expulsion vers la Bande de Gaza et sa transformation en colonie pénitentiaire ou l’expulsion hors de Jérusalem vers la Cisjordanie et hors des terres agricoles qui ont fourni une subsistance à la famille depuis des centaines d’années.
Officiellement, Israël veille à ne pas déclarer son intention de vider le pays de ses autochtones palestiniens. Il s’est toujours appuyé sur des lois, des règlements et des ordres militaires - d’apparence respectable et correcte - approuvés officiellement par la Haute Cour de Justice. Israël manifeste un grand talent pour ignorer le principe d’égalité et les conditions politiques, sociales et géographiques de sa domination forcée sur un autre peuple. (Pourquoi, par exemple, n’accorde-t-il pas de permis de construire aux Palestiniens dans les endroits où ils ont vécu depuis des décennies et des siècles ? Parce que la loi déclare que seul un plan directeur détaillé permet l’attribution de permis de construire. Donc, pourquoi ne prépare-t-il pas un plan directeur détaillé pour la population palestinienne ?)
Les employés de l’Administration Civile des FDI [1] en Cisjordanie, ou ceux de la mairie de Jérusalem ou de Galilée et du Triangle [2] haussent les épaules et gardent le silence ; les honorables juges de la Haute Cour de Justice, eux, ne posent pas de questions embarrassantes. Ils savent seulement que la maison n’a pas de permis – donc son sort est d’être démolie.
Il y a aussi l’expulsion en vertu du contrôle israélien sur le Registre de la Population palestinienne, ce qui transforme les Palestiniens en résidents permanents par la grâce des mauvaises intentions d’Israël. Jusqu’en 1994, Israël a révoqué le statut de résident de centaines de milliers de Palestiniens de Cisjordanie (dont Jérusalem-Est) et de la Bande de Gaza s’ils habitaient à l’étranger depuis une longue période, ou s’ils n’étaient pas ici lors du recensement de 1967.
Les Accords d’Oslo, dans une des rares parties positives du texte, ont annulé cette liberté de l’occupant de révoquer le permis de résidence des Palestiniens, mais pas celle de révoquer celui des habitants de Jérusalem. Mais la liberté d’Israël de déterminer où et combien des expulsés de 1967 et 1948 pourraient retourner dans les enclaves de Cisjordanie n’a pas été annulée. Le mécanisme de « regroupement familial » - reconnu comme un des moyens de restaurer le statut de résident - a toujours été trop lent ; depuis 2000, il est gelé en pratique en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. A Jérusalem, il est soumis aux caprices, au traînage de pieds et à l’insensibilité du ministère de l’Intérieur. A tout moment, il peut, tout comme le Shin Bet, révoquer le statut de résident d’un habitant de Jérusalem pour des « raisons de sécurité » et l’expulser vers la lune.
Il y a la méthode d’expulsion par assèchement de la population. Israël contrôle les ressources en eau, établissant de faibles quotas pour les autochtones. L’agriculture pour les Juifs se développe en Cisjordanie alors que l’eau pour les Palestiniens s’amenuise.
Pendant les mois d’été des centaines de milliers de personnes sont tributaires de l’eau fournie par des camions-citernes (parce qu’il n’y a pas d’eau au robinet ) et la paient dix fois plus cher. La Bande de Gaza n’est pas reliée à l’eau du reste du pays, comme si elle était une île isolée et 95% de son eau n’est pas potable. Tout le monde ne peut pas endurer un tel traitement pendant longtemps.
Il y a aussi l’expulsion par l’interdiction de construire, de se raccorder aux infrastructures et par des démolitions incessantes, en bloquant l’accès aux sources et aux pâturages, dans ce qui est appelé la Zone C qui couvre la majeure partie de la Cisjordanie. Tout le monde ne peut pas le supporter pendant longtemps. Les gens déménagent pour habiter dans les enclaves palestiniennes.
Le contrôle par Israël de la Zone C (tout en fixant et en perpétuant la situation qui était supposée être temporaire, selon les Accords d’Oslo) est une des principales raisons de la dégradation de l’économie palestinienne (le dé-développement est l’excellent terme inventée par l’économiste Sara Roy) : l’absence de perspective économique est une raison qui pousse des tas de jeunes gens à quitter le pays.
Ce mal est aussi l’oeuvre de gens malveillants : partout où l’état et l’Administration Civile ne réussissent pas, les colons interviennent. L’armée punit les Palestiniens pour la violence des colons et empêche les premiers d’accéder à leurs terres pour « éviter les frictions ». C’est ainsi que cette jeunesse perspicace et frum [NDT : mot qui désigne la dévotion religieuse juive] prend de plus en plus le contrôle de terres palestiniennes.
L’interdiction de mouvement des habitants de la Bande de Gaza n’est pas seulement l’emprisonnement de deux millions de personnes. C’est leur expulsion de nos esprits et le massacre de la créativité, de la possibilité de gagner sa vie, d’étudier et de guérir les malades. En contrevenant aux Accords d’Oslo, Israël définit comme illégaux les habitants nés à Gaza, qui réussissent à atteindre la Cisjordanie et à y séjourner. Pour éviter leur expulsion, ils s’emprisonnent dans leur ville de résidence en Cisjordanie. Il n’est pas surprenant que les jeunes Palestiniens essaient de quitter le pays : l’expulsion sous couvert de libre arbitre.
Enfi, il y a l’expulsion massive en temps de guerre, dont l’apogée a été atteint pendant la guerre de 1948. Par conséquent, notre droite messianique - passablement religieuse, nationaliste orthodoxe et laïque - mécontente de l’expulsion rampante des Palestiniens que le gouvernement effectue tout le temps – aime les guerres, les attend avec impatience et les suscite.
Traduit de l’anglais original par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers